« Il faut réfléchir à une taxe de transport pour les entreprises »

Paperjam : La gratuité des transports en commun coûtera 800 millions d’euros en 2023. Est-ce le prix de la gratuité des transports, et pas seulement 41 millions représentés par des titres de transport qui ne se vendent plus ?

François Bausch : 800 millions d’euros, c’est le coût d’exploitation de tous les modes de transport de notre réseau de transports en commun. C’est-à-dire le tram, les bus RGTR et le chemin de fer pour l’année prochaine. Le montant payé en totalité par l’État. Lorsqu’il a été décidé de rendre les transports publics gratuits en mars 2020, le taux de couverture des ventes de billets au Luxembourg de 41 millions d’euros représentait environ 8% des coûts d’exploitation, qui variaient de 600 à 650 millions d’euros. Cela a facilité la décision finale d’exemption.

Paperjam : C’est un prix assez élevé, n’est-ce pas ?

François Bausch : Je pense qu’il faut voir cette astuce dans une perspective plus globale. Nous devons considérer les avantages que le réseau de transport public urbain apporte à l’économie en général.

Paperjam : En Belgique, en 2021, la Fédération des entreprises belges estimait le coût de la congestion du trafic à près de 4,5 milliards d’euros, soit 1,03 % du PIB annuel. Peut-on également chiffrer le gain pour l’économie du pays grâce aux investissements dans la mobilité ?

François Bausch : C’est vraiment la bonne façon de voir les choses. Nous n’avons pas encore quantifié les retombées de nos investissements en mobilité sur l’économie luxembourgeoise. Mais cela se fera très rapidement en créant l’Observatoire de la mobilité. Depuis trois ans, mon équipe mobilité travaille à la mise en place de cet observatoire, qui sera numérique et avec des données ouvertes. Son rôle sera de collecter un grand nombre de données sur la mobilité, les déplacements et les flux. Nous travaillons déjà avec Posta pour pouvoir utiliser les données mobiles. J’espère qu’au printemps prochain la loi sera votée avec pour objectif d’avoir un observatoire opérationnel de la mobilité en 2024.

Paperjam : Revenons à ce chiffre de 800 millions d’euros. Il s’agit d’une enveloppe importante du budget du ministère de la Mobilité et des Travaux publics. Doit-il rester stable, diminuer ou augmenter dans les années à venir ?

François Bausch : Ce budget va être augmenté. Dans la loi de financement des CFL, qui entrera en vigueur en 2025 pour une durée de 15 ans, nous avons prévu des augmentations comme l’indexation, mais aussi une augmentation des dépenses de 5% par an. Simple, car nous prévoyons d’augmenter la capacité des services ferroviaires et de continuer à investir dans le matériel roulant. Par ailleurs, le futur train CFL devrait être livré très prochainement pour la phase d’essai au Luxembourg. Lorsque les travaux en gare de Luxembourg et sur la ligne vers Bettemburg seront totalement achevés, d’ici 2028, le train circulera toutes les 7 minutes aux heures de pointe. Il s’agira donc d’une augmentation significative de la capacité.

Par rapport à l’année dernière, le budget a été augmenté d’un peu plus de 100 millions d’euros en raison de l’augmentation de la capacité et de la vitesse du réseau de transports en commun, tant sur le chemin de fer, que sur les tramways et les bus RGTR. Dans les années à venir, les extensions de tramway, la réorganisation majeure du réseau RGTR que nous voulons faire dans le sud du pays, le budget des transports en commun va donc augmenter dans la mesure où nous avons un programme de mobilité important à l’horizon de 2035.

Paperjam : Il coûte aujourd’hui 800 millions d’euros, on peut donc penser que dans les années à venir, les transports publics coûteront à l’Etat plus d’un milliard d’euros par an… Qui devinera ?

François Bausch : Dans notre projet Modu (stratégie globale pour une mobilité durable, ndlr) nous avons défini quatre acteurs impliqués dans la mobilité, à savoir : l’individu, l’Etat, les communes et les entreprises. Lors de la prochaine convocation, il faudra vraiment réfléchir à la fiscalité et à la responsabilité des entreprises en matière de financement de la mobilité. Par exemple, l’introduction d’une taxe de transport pour les entreprises. Similaire à ce qui existe en France où les entreprises sont soumises à un impôt très minime dont les revenus servent exclusivement à financer les transports en commun. C’est un modèle que je trouve intéressant, parmi d’autres modèles, qu’il faudra adapter au modèle luxembourgeois avec peut-être des seuils pour les petites entreprises de moins de 50 personnes. Cela impliquera évidemment des discussions et des débats pour créer un système de mobilité efficace.

Paperjam : Le Luxembourg a-t-il les fonds pour ses ambitions en matière de mobilité alors que le gouvernement ne veut pas voir augmenter la dette ?

François Bausch : C’est toujours une question de priorité politique. Lorsque vous manquez de ressources financières, vous devez choisir. Mais si on ne privilégie plus la mobilité, c’est une erreur fatale. Cela nuira à l’attractivité du pays et à sa qualité de vie. Pour moi, il y a des domaines où l’argent ne peut pas être économisé : la santé, l’éducation, la sécurité sociale, le logement et la mobilité. Ajoutons la culture, qui est aussi un domaine important, mais qui nécessite souvent un budget plus modeste. L’épargne dans ces domaines conduit finalement le pays à un déficit encore plus important, car cela affectera négativement l’économie du pays.

Paperjam : Une pétition a été lancée réclamant le retour des transports en commun payants pour garantir aux usagers le respect des horaires sur le réseau. Qu’est-ce que tu penses?

François Bausch : Franchement, je ne comprends pas les arguments présentés dans cette pétition. Même si je rends les transports en commun payants demain, cela ne changera rien à la ponctualité des différents transports. L’horaire sera respecté lorsque nous aurons suffisamment de couloirs de bus. Les échéanciers seront d’autant plus respectés lorsque les chantiers de modernisation seront achevés et permettront une augmentation de capacité. Le tram est correct. La qualité des transports publics n’a rien à voir avec le déficit de 41 millions d’euros de la vente des billets. En décidant gratuitement, nous n’avons pas réduit l’offre de transport, bien au contraire. Nous sommes champions du monde lorsqu’il s’agit d’investir dans les transports publics. Le problème est que nous avons attendu trop longtemps pour le faire. Si on réduisait la qualité de notre réseau de transport, alors je comprendrais que les gens préfèrent payer pour une certaine qualité de transport. Mais nous avons fait l’inverse.

Paperjam : Le prix de certaines infrastructures n’est-il pas trop élevé ? Prenons par exemple le futur pont du col entre Belval et Esch-sur-Alzette, 47,5 millions d’euros, pour 1,9 km de piste cyclable, dont 1,2 km de passerelles, soit 25 millions d’euros les kilomètres…

François Bausch : On ne se pose jamais cette question quand il s’agit de construire un pont pour les voitures individuelles. Je suis convaincu que les performances de cette passerelle seront exceptionnelles. Elle reliera Esch-sur-Alzette à Belval où la population n’a actuellement aucune possibilité de marcher ou de faire du vélo sur cette route sauf à prendre un risque. Nous avons créé une université à Belval et les étudiants n’ont pas la possibilité de se rendre facilement à Esch-sur-Alzette. Cette passerelle piétonne sera un énorme atout pour le développement économique d’Esch et redonnera une très bonne image du Luxembourg en termes d’architecture et de mobilité, comme la passerelle cyclable sous le pont Adolphe qui a récemment reçu un prix international (Pedestrian Bridge Prix ​​dans la catégorie New Life, ndlr). De plus, le prix au mètre carré de cette passerelle est deux fois plus élevé que celui qui reliera Belval et Eš (6,2 millions d’euros pour une longueur de 200 mètres, ndlr).

Paperjam : En 2020, les transports publics gratuits ont attiré les médias du monde entier. Est-ce toujours le cas?

François Bausch : Oui, et on me demande encore souvent de parler du concept luxembourgeois de mobilité. Mais j’insiste toujours pour qu’il soit précisé qu’il s’agit d’un réseau de transports en commun urbains, car il n’est pas transposable à tout un territoire comme la France ou l’Allemagne où les distances sont parfois très grandes. Mais je pense qu’à l’échelle de grandes agglomérations comme Berlin, Francfort ou Paris, villes avec les mêmes problématiques et spécificités que Luxembourg, qui est une grande agglomération à forte densité de population et à forte attractivité, notre projet de mobilité devient un atout indéniable pour l’attractivité du pays.