Crise du carburant : « La voiture électrique ne suffit pas »

La pénurie de carburant remet en question la dépendance à l’égard des voitures pour le chauffage. Les voitures électriques seules ne sont pas une solution durable, selon le chercheur Aurélien Bigo. Il est nécessaire de combiner le mouvement conscient.

Aurélien Bigo est chercheur à la Chaire Énergie et Prospérité, et expert de la transition énergétique dans les transports.

Reporterre – Depuis plusieurs jours, on voit de longues files d’attente devant les stations-service, des gens se disputent le moteur… Qu’est-ce que cela montre sur notre rapport au pétrole ?

Cela montre l’état de dépendance dans lequel nous nous trouvons. Dans le contexte de la crise climatique, malgré tous les défis, on constate qu’il est déjà difficile de séparer le pétrole à moyen et long terme. Il est aujourd’hui très difficile, en quelques jours, de réduire significativement la consommation d’huile. Ces mouvements rapides vers les centres de services montrent également le caractère structurel du mouvement pétrolier. Il est utilisé pour trouver des emplois, des entreprises et des activités. Ce sont des besoins de style de vie très forts.

Les carburants pétroliers représentent 98 % de la consommation d’énergie dans le secteur de la mobilité (dont 7 % de biocarburants, plus le diesel et l’essence), contre seulement 2 % pour l’électricité. Lorsqu’il y a un besoin d’énergie pour alimenter nos véhicules, le pétrole est donc toujours très demandé. C’est aussi lié à notre mode de vie. Historiquement, il y a eu un double mouvement, à la fois à longue distance, mais aussi en termes de mouvement plus personnel. La combinaison de ces deux signifie que la voiture est autonome, s’appuyant à 98% sur le pétrole. Aujourd’hui la part de l’électricité se situe entre 1 et 2% des voitures françaises.

Dans cette crise énergétique, la voiture électrique apparaît-elle comme une bonne solution pour sortir de la dépendance au pétrole ?

La voiture électrique, comprend la catégorie « voiture », et l’électrification. Il peut être intéressant de faire la distinction entre les deux, car l’électricité est essentielle pour atteindre les objectifs climatiques. Donc, si nous ne nous tournons pas vers l’électricité, nous manquerons ces objectifs. Il faut aussi revoir la place de la voiture dans notre mouvement à l’échelle mondiale, à ce moment-là, il faut jouer sur les cinq leviers de la transition énergétique dans les transports :

1. modération des besoins de transport : essayez d’éviter les déplacements inutiles, réduisez la distance entre le travail et le domicile ;

2. le mode de déplacement actif tel que la marche ou le vélo, ou les transports en commun ;

3. Améliorer le remplissage des véhicules, par exemple une voiture ;

4. Réduire la consommation d’énergie des véhicules : cela comprend non seulement des aspects techniques, mais aussi des mesures conscientes telles que la conduite écologique ou la réduction de la vitesse sur les routes ;

5. Décarbonation de l’énergie : passage du pétrole à d’autres sources d’énergie, notamment les véhicules électriques. C’est la pire des solutions pour le moment.

D’un point de vue climatique, une voiture électrique ne suffit pas non plus. Elle ne produit que trois fois moins d’émissions qu’une voiture chaude, ce qui n’est pas suffisant. De plus, le temps de renouvellement des véhicules électriques est très long, et le coût d’achat des véhicules électriques est encore élevé. Si l’on veut réduire les émissions et la consommation de pétrole à court terme, notamment pour des raisons géopolitiques, il ne faut pas compter sur ce seul levier.

En revanche, on peut penser à se tourner vers des véhicules légers ou intermédiaires entre le vélo et la voiture, comme la voiture [véhicule électrique], le vélo à assistance électrique, les vélos cargo qui permettent de transporter plus de poids, les vélos pliants sont peuvent être des transports en commun, des chars ou des vélos multiplaces.

Cette dépendance au pétrole ne menace-t-elle pas de crise sociale ?

Tout dépend de la manière dont la transition est gérée. La première priorité, nous avons l’alignement des leviers que j’évoquais et la réduction des coûts de déplacement. Par exemple, si nous réduisons la distance, cela réduira le coût du transport. Si nous utilisons plus souvent un vélo ou si nous conduisons une voiture, cela coûte moins cher qu’une voiture particulière. Cependant, si nous optons pour des voitures qui consomment moins d’énergie, plus conscientes, moins chères à acheter et à utiliser.

Aussi, les personnes les plus vulnérables sont celles qui se retrouvent dépendantes de la voiture avec de faibles revenus. Si nous sommes très fiers de la transition énergétique, ils en seront les principaux bénéficiaires.

Pensez-vous que la pénurie de carburant pourrait avoir un effet permanent sur notre flux actuel ?

Tout dépend de la durée de la pénurie. Il y a eu de nombreux problèmes comme celui-ci, mais malheureusement il n’y a eu aucune conséquence pour la négligence de notre système de transport. Il suffit de comparer le Covid-19 à un problème de longue durée qui aurait pu faire réfléchir : les aménagements cyclables temporaires par exemple. Cependant, nous voyons que les schémas de mouvement sont revenus à la normale. Après quelques jours de stress, je ne m’attends pas à ce qu’il en soit autrement.

En revanche, ce qui change par rapport au Covid, c’est que cette pénurie est immédiatement impactée par le carburant. C’est une incitation naturelle à tout ce qui va dans le sens d’une réduction de la consommation de pétrole. En comparaison, Covid n’aimait pas la voiture ou les transports en commun à cause de la distanciation sociale. Mais en revanche, lors de la grève des transports en commun fin 2019 à Paris, on constate un effet durable sur la pratique du vélo.

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