Marie-Ange Debon (Keolis) : « 20 % du PIB, 30 % des émissions de CO2 : le secteur des transports doit accélérer

Près de 80 % des déplacements ont encore lieu en voiture en France : il faut développer une offre efficace pour massifier et électrifier les transports en commun

Marie-Ange Debon est présidente du conseil d’administration de l’opérateur de transport public Keolis depuis août 2020, après avoir, entre autres, dirigé Suez. Keolis est détenue à 70 % par la SNCF et à 30 % par la Caisse de dépôt et placement du Québec. Marie-Ange Debon est également présidente de l’Union des transports publics.

Le secteur des transports est, comme de nombreux secteurs, dans l’urgence de se transformer. Où en est-on ?

Tous modes de transport confondus, le secteur des transports représente 20% du PIB en France et en Europe. Plus que l’industrie ou l’agriculture. C’est aussi la source de 30 % de nos émissions de gaz à effet de serre. Ils n’ont pas baissé car le secteur continue de croître et les besoins de mobilité sont toujours croissants. De plus, c’est le troisième poste des dépenses des ménages pour le logement et l’alimentation. Quel que soit l’angle sous lequel on l’envisage, environnemental ou en termes de pouvoir d’achat, c’est la clé du besoin de transformation. Mais la transformation doit se faire. En France, les déplacements au sens large du terme s’effectuent à 80 % en voiture. Les transports en commun ne représentent que 17 à 18 % des déplacements. La marge de progression est colossale.

Comment les pouvoirs publics peuvent-ils créer un cadre adéquat à la mutation des transports ?

Un gouvernement qui a l’ambition de décarboner l’économie doit se concentrer sur les transports publics. Elle induit moins d’émissions de gaz à effet de serre, moins de particules fines, moins de congestion urbaine. Quand on compare les émissions de CO2 du tram et de la voiture, c’est flagrant. Ils sont de 3 grammes par passager et par kilomètre dans le premier cas et 200 dans le second. Les moyens d’action des pouvoirs publics doivent d’abord se concentrer sur l’offre. Il doit être de qualité, sûr, propre, confortable, avec des fréquences suffisantes, ponctuelles… Les tramways avec prises USB, climatisation, fonctionnent avec un paiement facile, avec des cartes bancaires par exemple ça change tout. La voiture est encore plus chère. Ceux qui l’utilisent quotidiennement ne le font pas pour des raisons de coût. Ils le prennent en l’absence de moyens alternatifs appropriés. L’État doit soutenir les collectivités locales, qui sont les principaux financiers du secteur, à travers la prime de mobilité, leurs ressources propres et les tarifs. Elle peut investir dans la modernisation du parc de bus, dont seuls 4 à 5 % en France sont électrifiés. Plus généralement, les alternatives au diesel (électricité, biogaz, hydrogène) ne concernent que 20 % du parc. Cependant, il y a un surcoût à l’achat très important, de l’ordre de 30% à 40% pour un bus électrique – qui s’avère moins cher à l’usage. Cela passe aussi par le nécessaire réseau de bornes électriques et de stations hydrogène.

Et pour ce qui est du système de financement de la transition ?

En termes de financement, la prime de mobilité que versent les entreprises est cruciale. Ce sont 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires, difficilement remplaçables. Voir l’article : Brest : WIP, une application pour stopper la peur de prendre les transports en commun. Les usagers ne paient que 25 % en moyenne des coûts réels en France ; nous pouvons difficilement aller au-delà. L’Etat peut, pour trouver d’autres financements, s’appuyer sur les externalités positives que génèrent les transports en commun : la valeur des biens augmente, dans le cas du service, pour les propriétaires, bailleurs sociaux, entreprises. Cette valeur n’est pas partagée avec la communauté. Il est possible d’en capter une partie avec des mesures fiscales appropriées.

Est-il, selon vous, possible d’atteindre la neutralité carbone du secteur des transports?

C’est l’objectif pour 2050. Il faut accélérer. Aujourd’hui, si l’on prend en compte le transport ferroviaire, la moitié des transports publics sont électriques. A voir aussi : Les transports en commun sont-ils gratuits ?. Nous devons encore augmenter et diminuer la part de la voiture. Cela ne va pas disparaître, surtout dans les zones rurales, avec des logements dispersés, mais il est encore possible de trouver des alternatives.

Lesquelles?

Les offres s’adressent à la périphérie même, la nouvelle rame de tramway Versailles-Saint-Cyr-Saint-Germain-en-Laye apporte une solution de trajets nord-sud dans les Yvelines qui n’existait pas. Les transports à la demande, comme à Strasbourg, via le prolongement des lignes à certaines heures de la semaine, ou des offres collectives à partir de petits véhicules pouvant être commandés, sont flexibles et adaptables en milieu rural. Sur le même sujet : Covid-19 : bientôt de retour du port du masque dans les transports ?. La première ligne de bus électrique interurbain à impériale entre Cannes et Nice fait également partie de ces solutions légères mais efficaces. Comme les bus de service haut de gamme qui ont trouvé leur public autour de Biarritz ou à Bayonne.

Quels sont les apports du numérique dans la transition écologique du transport?

Nous sommes à la traîne dans l’utilisation des données pour la compréhension détaillée des voyages. Une révolution est en marche. Cela sera crucial pour comprendre les nouvelles données post-covid. Cette compréhension fine est aussi un outil pour désaturer les heures de pointe dans une zone de population. Les « guichets horaires », qui permettent de décaler la rentrée scolaire ou universitaire de 10 minutes, peuvent tout changer et permettre de calibrer les réseaux de manière optimale et efficace.

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